la musique électronique: critique de la nonchalance pure.
Il serait vain d’écouter de la musique électronique en essayant d’y dénicher des architectures harmoniques digne des grands noms de la musique classique. Là n’est pas son but. De la même manière que l’art contemporain semble être une interrogation sur les limites de l’art, l’électronique s’interroge à sa manière sur les limites de la musique. C’est ainsi que, grâce à l’arrivée des machines et plus particulièrement du numérique, de plus en plus de bruits du quotidien ont commencé à fleurir ici ou là au sein des chansons. Comme pour l’art contemporain, quelque chose de banal devient soudain artistique parce qu’on a porté un instant un regard différent sur lui, parce qu’on le met en scène.
La chose la plus fondamentale qu’aient apporté les machines dans l’évolution de la musique, c’est le hasard, l’erreur, l’accident! Et voilà une des différences majeures avec les musiques plus harmoniques. Les machines ont ramené le hasard à une place de choix dans la composition, le déraillement est presque devenu une règle. Tel effet rajouté à tel effet, telles fréquences balayées aléatoirement par une équalisation nonchalante, et soudain surgit quelque chose, un son particulier, qui se pare d'une aura inattendue, imprévisible. La composition en électronique est presque une passivité, une attente, une sorte de philosophie de l’affût. On guette le surgissement, l’étincelle qui va soudain conférer une âme à la boucle qui tourne sans âme depuis des heures sur l’écran de l’ordinateur ou dans le sampler. Et puis au cours d’un bidouillage, le son prend vie; alors, seulement, la direction du morceau se profile, et comme un chercheur d’or, le compositeur va plonger et replonger inlassablement son tamis dans l’eau dans l’espoir d’en retirer d’autres pépites.
Le son n’est plus simplement un vecteur de l’harmonie, auquel on demande un beau port de tête pour faire honneur à la mélodie; les textures des sonorités sont devenues un univers entier à elles seules, chaque aspérité et chaque relief a son importance, chaque teinte apporte une nuance au paysage qu’elles esquissent. Chaque son devient un petit monde en lui même, et le compositeur développe alors pour lui une curiosité dévorante, en le poussant dans ses retranchements, en explorant chaque centimètre de ses nerfs et de ses tendons. On le torture et on le cajole en même temps, on le cuisine comme dans une garde à vue musclée et sado-maso pour qu’il nous livre sa mécanique secrète; qu’il dévoile enfin la faille, la niche où notre conscience ira se faufiler.
C’est cette vision des choses que les non-musiciens, ceux qui créent de la musique avec des machines, ont insufflé à l’histoire de la musique en remettant en cause le statut-roi de musicien ou de chanteur. Et il serait injuste de réduire cela à une baisse général du niveau musical et de la maîtrise des règles de l‘harmonie, parce que cette réflexion sur la texture est désormais au cœur du travail de nombreux nouveaux et talentueux artistes.